Nietzsche et les femmes


La philosophie se déclenche souvent par des rapprochements. Voici trois fragments disparates. Le premier concerne Nietzsche.

Frédéric Nietzsche est né en 1844 dans la famille de pasteurs luthériens d'une petite ville de Thuringe alors sous domination prussienne. Son père meurt en 1849, il vit son enfance entouré de femmes, sa mère, sa soeur, sa tante. Il est l'enfant prodige, on garde ses dissertations, ses compositions musicales.
A près de quarante ans, ce fin psychologue, écrit dans Le gai savoir juste à l'époque de sa rencontre avec Lou Andréas-Salomé :
"Les femmes et leur action à distance. - Ai-je encore des oreilles? Ne suis-je plus qu'oreille et rien de plus? Au milieu de l'ardeur du ressac dont l'écumeux retour de flammes jaillit jusqu'à mes pieds - ce ne sont que hurlements, menaces, cris stridents qui m'assaillent, tandis que dans son antre le plus profond l'antique ébranleur de la terre chante sourdement son air comme un mugissant taureau : ce faisant, de son pied d'ébranleur, il bat une mesure telle qu'en tremble le coeur des démons de ces roches effritées. Alors, comme surgi du néant, aux portes de cet infernal labyrinthe, apparaît, distant seulement de quelques brasses - un grand voilier qui passe, d'un silencieux glissement fantomal. Oh fantomale beauté! Quel enchantement n'exerce-t-elle pas sur moi! Quoi? Cet esquif emporterait-il le repos taciturne du monde? Ma propre félicité assise là-bas, à cette place tranquille, mon moi plus heureux, mon second moi-même éternisé? Pas encore mort, mais déjà ne vivant plus? Glissant et flottant, être intermédiaire, spectral, silencieux et visionnaire? Semblable au navire qui de ses voiles blanches plane au-dessus de la mer comme un gigantesque papillon? Ah! Planer au-dessus de l'existence! C'est cela! C'est cela qu'il faudrait!... Ce tumulte a-t-il donc fait de moi un fantasque? Toute grande agitation nous porte à imaginer la félicité dans le calme et dans le lointain. Lorsqu'un homme en proie à son propre tumulte se trouve au milieu du ressac de ses élans et projets : sans doute voit-il alors aussi des êtres enchanteurs et silencieux glisser devant lui, dont il convoite la félicité et la retraite - et ces êtres, ce sont les femmes. Il aime à croire que là-bas, auprès des femmes, habiterait son meilleur moi : à ces places tranquilles le plus violent tumulte s'apaiserait en un silence de mort, et la vie deviendrait le rêve même de la vie. Pourtant! Pourtant! Noble exalté, même sur les plus beaux voiliers il n'est pas moins de rumeur et de vacarme, et malheureusement tant de pitoyable vacarme ! Le charme et l'action la plus puissante des femmes, c'est, pour parler le langage des philosophes, une actio in distans: mais pour cela il faut tout d'abord et avant tout - de la distance."
Nietzsche ne veut pas se laisser aller, il est l'anti Marcel Proust.

L'athéisme, c'est la maladie de la croyance en Dieu

Dans l'enseignement de Lacan, la femme a quelque chose comme une participation à Dieu qui fait qu'elle est inconnaissable dans sa totalité.
"Il est clair que ce n'est qu'à partir d'une certaine réflexion sur les mathématiques que l'existence a pris son sens. Tout ce que l'on en a pu dire avant, par une sorte de pressentiment, religieux notamment, à savoir que Dieu existe, n'a strictement de sens qu'à mettre l'accent sur le point suivant. Je dois y mettre l'accent parce qu'il y a des gens qui me prennent pour un maître à penser. Que vous croyiez en Dieu on non - moi, je n'y crois pas, mais on s'en fout, pour ceux qui y croient c'est la même chose -, gardez dans votre petit creux d'oreille qu'avec Dieu, dans tous les cas il faut compter. C'est inévitable." Séminaire XIX, 1-6-1972.
"Des personnes bien intentionnées - c'est bien pire que celles qui le sont mal - se sont trouvées surprises d'avoir écho que je mettais entre l'homme et la femme un certain Autre qui avait bien l'air d'être le bon vieux Dieu de toujours. Ce n'était qu'un écho, dont elles se faisaient les véhicules bénévoles. Ces personnes étaient, mon Dieu, il faut bien le dire, de la pure tradition philosophique, et de celles qui se réclament du matérialisme - c'est bien en cela que je la dis pure, car il n'y a rien de plus philosophique que le matérialisme. Le matérialisme se croit obligé, Dieu sait pourquoi c'est le cas de le dire, d'être en garde contre ce Dieu dont j'ai dit qu'il a dominé dans la philosophie tout le débat de l'amour. Aussi ces personnes, à l'intervention chaleureuse de qui je devais une audience renouvelée, manifestent une certaine gêne." Séminaire XX, 20-2-1973.
"La femme dont il s'agit est un autre nom de Dieu, et c'est en quoi elle n'existe pas, comme je l'ai dit mainte fois." Séminaire XXIII, 18-11-1975
"La religion, c'est un symptôme. Tout le monde est religieux, même les athées. Ils croient suffisamment en Dieu pour croire que Dieu n'y est pour rien quand ils sont malades. L'athéisme, c'est la maladie de la croyance en Dieu, croyance que Dieu n'intervient pas dans le monde. Dieu intervient tout le temps, par exemple sous la forme d'une femme. Les curés savent qu'une femme et Dieu c'est le même genre de poison. Ils se tiennent à carreau, ils glissent sans cesse." "Conférences et Entretiens dans des universités nord-américaines." Scilicet no 6/7, 1975, pp. 32-37.

La femme belle et l'enfant

Une histoire vraie. C'était sur la ligne 3 direction Gallieni. Elle était assise sur un strapontin l'enfant dormait contre elle. Une femme de grande taille dans les 22 ans, peut-être plus, vêtue d'une robe bleue simple, longue, pas moulante, mais laissant bien deviner un corps gracieux et charnu. Elle ne portait aucun bijou ni aucun maquillage. Elle souriait imperceptiblement comme une madone de l'époque baroque, rayonnante d'une paix céleste. Le gosse pouvait avoir quatre ans, il était bien habillé d'une culotte courte et d'une chemise comme les grands. En fait il ne dormait pas, c'était un câlin, de temps en temps il lui parlait, des phrases bien tournées pour son âge. Sa tête était sur son sein comme s'il voulait écouter son coeur. Cela gonflait légèrement la gorge de la jeune femme, un peu comme les soubrettes des pièces de Molière. "Léo tu me tiens chaud" lui dit-elle. "Mais je suis bien" répond-il, en se serrant davantage. Ses cheveux châtain bouclés et sa joue blanche contrastaient sur la peau noire ébène de la femme. Elle savait qu'il l'aimait, elle lui eût volontiers donné le sein si nounou avait voulu dire nourrice comme dans les temps passés. Ils descendirent à la Porte de Bagnolet, ils se tenaient par la main, le bras du petit un peu vers le haut mais pas tendu, il chantonnait, sautillait et la regardait constamment. La scène me remis en mémoire ma première institutrice, j'avais cinq ans, à Montrouge, rue Boileau. J'étais amoureux d'elle, elle portait une robe soyeuse à grandes fleurs. Et c'était bien de son corps que j'étais épris, de son corps de femme, je la trouvais la plus belle.
Je me demande quel type d'homme sera Léo plus tard, genre Proust ou genre Nietzsche ou matérialiste.



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